lundi 8 juillet 2019

Portrait de la jeune fille en feu


Grande réussite que le dernier Sciamma qui trame derrière l’apparent classicisme d’un film d’époque (fin XVIIIème siècle) le feu contenu d’une passion, nécessairement discrète car circonscrite par les convenances mais entretenue par le détournement d’une commande familiale à des fins artistiques et amoureuses (l’art et l’amour se nourrissant l’un l’autre, l’artiste et son modèle s’éduquant mutuellement). On voit déjà pointer dans ce canevas l’aube du romantisme où l’art sera progressivement investi comme une île-refuge, sur laquelle en quelques jours brefs et intenses toutes les cartes existentielles pourront être rebattues à jamais et un nouveau monde découvert. Il y aura ainsi l’apprentissage du visage de l’autre comme un paysage changeant, apprentissage de la lecture des signes particuliers qui disent l’individualité du modèle derrière son masque social, signes qui sont également ceux de l’absence à venir, du vide abyssal auquel l’amour nous expose. L’imaginaire du film par ses thèmes comme par son esthétique renvoie autant à l’univers romanesque et tempétueux des sœurs Brontë qu’au prosaïsme domestique des chefs d’œuvres de la peinture hollandaise du Grand Siècle en passant bien sûr par des références plus explicitement cinématographiques comme La Leçon de Piano de Jane Campion et surtout Titanic de James Cameron. A l’image de Rose qui découvrait par le truchement de l’amour les conditions de vie des classes populaires enfouies dans les soutes du transatlantique, le voyage amoureux de nos deux wanderers que sont les protagonistes principales du Portrait (magnifiquement interprétées par Noémie Merlant et Adèle Haenel) n’aura pas pour seule fin une expérience intime et personnelle mais sera aussi l’occasion d’ouvrir les yeux sur la condition des femmes moins fortunées qui les entourent. Concomitamment à l’éclosion du romantisme, ce sont aussi aux tout débuts d’un féminisme social auxquels on assiste lors de deux séquences nocturnes saisissantes. Car derrière la sage simplicité des grands classiques à laquelle le film vise, certaines scènes nous donnent à voir en contrebande des situations et des images à proprement parler inouïes, jamais vues et pourtant évidentes. Un tel geste qui mêle l’évidence à la nouveauté fait inévitablement acte, émeut et interroge sur les limites de notre représentation – tant artistique que politique. 






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