mardi 3 avril 2012

ABORDAGE DE MONDWEST

MONDWEST de Michael Crichton



Prenez deux beaux spécimens d'aliénés, deux célibataires mâles, l'un arrogant et se prenant pour un play-boy (James Brolin), l'autre timide divorcé, plus ou moins cocu (Richard Benjamin). Plongez-les dans un parc d'attraction qui propose à ses visiteurs de ne plus être les spectateurs de leurs fantasmes cinématographiques mais des acteurs à part entière pouvant même choisir leur genre de prédilection : western, cape et d'épée ou péplum. Laissez-les ensuite mijoter le temps d'une bobine et vous ne tarderez pas à les voir ne plus se tenir, donnant libre cours à leurs plus basses pulsions. Tuer, forniquer à la demande, torturer, mépriser les autres, enfin tout ce que la société leur refuse en temps normal devient leur quotidien. En toute innocence, livrés à leur jouissance, ils deviennent les méchants sans le savoir. Le far west était autrefois ce lieu où la loi américaine s'était péniblement écrite, année après année, duel après duel, héros après héros, et voilà que deux ploucs friqués y retournent pour tout détricoter au gré de leurs pulsions. Et pendant ce temps-là dans le secteur Rome des femmes mûres s'en donnent à cœur joie. Décadence. Pourquoi se priveraient-ils d'ailleurs puisque par la grâce d'une science uniquement soucieuse d'efficacité, les figurants du parc d'attraction ne sont pas vraiment des humains, ils n'en ont que l'apparence et sont en fait de dociles androïdes programmés pour se soumettre à leur moindre caprice. Insulte ultime : on a même ravalé la figure de Chris Adams (génial Yul Brynner), le chef des sept mercenaires, un vrai héros du cinéma mondial, au rang de pantin prêt à se faire buter à la moindre escarmouche. On le butera le soir, on le butera le matin mais au troisième jour le mythe reprendra ses droits. Comment ? C'est là la grande trouvaille du film : en inventant un regard. Car au cinéma n'avoir que l'apparence suffit à vous faire exister et puisque les hommes l'ont oublié, semblant ne plus vouloir regarder les films mais préférant les vivre, il faudra que le film lui-même s'invente un regard pour recadrer ses importuns, les soumette à un nouveau point de vue qui les remettra à leur place et les rassoira dans leurs fauteuils de spectateurs. Les yeux froids de Yul Brynner s'illuminent. Est-ce une diode ou l'éclat d'une conscience naissante ? Les deux probablement. On en verra le résultat dans ces plans d'images de synthèse -les premiers de l'histoire du cinéma- simulant la vision de l'androïde vengeur où l'homme n'apparaît plus que comme une ombre déstructurée. Surpixellisés, glacés comme un miroir, ces plans me terrifiaient quand bambin je les ai vus la première fois (je pensais alors naïvement que c'était Yul Brynner le méchant). Aujourd'hui ces images m'émeuvent, elles m'évoquent une naissance et me rappellent à cette douce vérité : nous ne sommes pas seuls, le cinéma nous regarde. Il suffit de le voir.