mardi 10 février 2015

Il y a une égalité de fait dans le cadre photographique qui s'applique à tout objet ou tout être qui le traverse et contre laquelle l'artiste ne pourra que composer. Combien de fois étant enfant en découvrant de vieux classiques en version sous-titrée au Cinéma de Minuit, je pataugeais dans la première demi-heure, peinant à suivre les dialogues et ne me fiant plus qu'à mes yeux, prenais le bon pour le méchant, la mignonne actrice secondaire pour l'héroïne ou encore la star glaçante pour une apparition qui ne tarderait pas à disparaître. Cette difficulté à saisir a priori les enjeux principaux du récit avait cet effet vertueux de me faire perdre dans des à-côtés qui n'en sont pas et d'élaborer à partir de quelques plans mal compris de fausses pistes que je suivais naïvement jusqu'à ce que leur crédibilité s'épuise, autant de micro-films qui ne tardaient pas à s'éteindre comme des feux de bengale dans un ciel écrit d'avance.
De ce point de vue, on peut dire que Preminger avec Laura et Hitchcock bien sûr dans Psychose, en laissant leur film se faire petit à petit dévorer par une de leurs potentialités, en laissant un micro-film gonfler comme une étoile au point de devenir le film lui-même, épousent  le point de vue d'un spectateur un peu rêveur, mauvais élève dont l'attention se serait décentrée. Ils réalisent en quelque sorte un malentendu, confèrent à l'arrière-fond une dimension inédite et ce qui est surprenant dans les films cités, ce n'est pas tant qu'ils brisent les conventions du récit traditionnel mais qu'ils deviennent sous nos yeux l'un des films qu'ils auraient pu être.