mercredi 27 juin 2012

LA TEIGNE

COUP DE TÊTE de Jean-Jacques Annaud


Bien sûr qu'il est toujours aussi plaisant de revoir Coup de Tête. Et d'abord parce que c'est une des rares comédies françaises à l'italienne réussie, avec tout ce qui en découle : la justesse du regard porté sur son époque (la fin des années 70) étayé par une sociologie vacharde appliquée au milieu du football amateur ; Patrick Dewaere en incompris, un tiers Max Linder (pour le burlesque raffiné), un tiers Schpountz (pour l'idiotie apparente), un tiers Jack Nicholson (pour l'inquiétante étrangeté) ; le tout parsemé des notes bêtes et géniales d'une mélodie écrite et sifflée par Pierre Bachelet (ici en précurseur involontaire de Philippe Katerine). L'époque quoi ! Ca semble rien mais c'est beaucoup. Avoir réussi à l'enregistrer, fût-ce par hasard, mérite une certaine reconnaissance. Mais justement puisqu'on parle de reconnaissance, il se trouve que le film présente aujourd'hui, au spectateur qui aurait vu les films suivants de Jean-Jacques Annaud, un avantage secondaire inattendu, celui d'y lire une confession. Car il n'est en effet pas interdit de voir dans Coup de Tête l'autoportrait du jeune cinéaste en ambitieux. Bourré de complexes et de ressentiments parce que venant de la publicité (à l'époque ça ne pardonnait pas) et tout juste auréolé d'un Oscar surprise pour son premier long-métrage La Victoire en Chantant, Jean-Jacques Annaud avait bien l'intention de voir son Coup de Tête porter assez pour s'imposer une fois pour toute comme un cinéaste de premier plan. Quoi de mieux pour cela que de se décrire en dilettante, faussement benêt, maladroit certes mais hargneux et efficace, marquant des buts. Ruse habituelle de la fausse modestie qui en profite toujours au passage pour rabaisser son entourage. D'où le portrait au vitriol du cinéma français comparé à une ville de province où l'esprit étriqué rivalise avec la corruption et la lâcheté. « Ah, bientôt ils me porteront aux nues mais ça sera trop tard, nah !» Cette façon qu'il a eu de recruter dans son film la quasi totalité des seconds rôles du cinéma français (Mario David, Paul le Person, Roger Dalban, Gérard Hernandez, Maurice Barrier, Lucien Denis, Michel Fortin, Jean Bouise, etc) sonne d'ailleurs comme un aveu : ce n'est pas un hommage à leurs « gueules » ou à leur « savoir-faire », non, c'est une façon de dire que le cinéma français c'est la seconde division et que bientôt lui, tout schpountz qu'il est, ira jouer dans un grand club à l'étranger, à Hollywood.
Cette lecture du film vaut ce qu'elle vaut, mais elle a au moins l'avantage de nous faire comprendre le tournant fatal que prendra la carrière de Jean-Jacques Annaud après Coup de Tête. Ce petit teigneux qui avait effectivement tout pour lui en renard des surfaces s'est ensuite malheureusement rêvé en numéro 10 du cinéma humaniste international, faisant la carrière que l'on sait : cro-magnons missionnaires, ours en guimauve et tigres gentils. Aux dernières nouvelles, il jouait pour un club qatarien, réalisant un spot publicitaire géant intitulé Or Noir.