dimanche 10 novembre 2013

ÉVAPORATION DE TROIS NOTES CONDENSÉES

HAEWON ET LES HOMMES de Hong Sangsoo



1 - Condensation : transformation de la vapeur (sentiments) en liquide. Pluie. Larmes devant sa mère.
Volonté d'Haewon de clarifier ce brouillard généalogique et amoureux. Concrétiser les rêves. "J'ai envie de boire". Ce besoin de franchise, de dire les choses sans les cacher, de sortir de cet entre-deux fantomatique dans lequel elle est enfermée (entre-deux identitaire, géographique, professionnel puisqu'elle est étudiante, et enfin amoureux.) Besoin de solide, de massif mais nécessité aussi de rester fluide et vivante. Donner forme à l'invisible, comme le drapeau coloré permet de voir le vent.

2 - Évaporation : les hommes. 
Fumée, brouillard, ivresse confuse, oubli systématique, mensonge. Le jeune moustachu, l'ami de Scorsese mais surtout Seongjun, le cinéaste-professeur, tous fument - "J'ai envie de fumer"- et tous sont un peu fumeux. 
La magie allénienne de l'ami américain, cette façon qu'a Seongjun de vouloir cacher leur amour dans un nuage de mensonges, autant de brumes. 
Haewon dans son désir de clarté écrase les fumigènes semés par le discours masculin mais en même temps elle ne peut s'empêcher d'être à chaque fois attirée par cette rhétorique de l'évaporation, de succomber à nouveau à cette esthétique du flou et du grésillement (la symphonie de Beethoven). Pourquoi ? Parce qu'elle ne veut pas non plus être figée par le concret à jamais, comme une statue. Elle a besoin de cette magie, de ce brouillard romantique, de ce jeu de pistes pour continuer à avancer et donner forme autant qu'il est possible à ses états de somnolence. Elle s'y accroche. Elle a besoin du sommeil pour pouvoir se réveiller.
Le brouillard qui entoure le fort dans la merveilleuse dernière séquence du film.

3 - Entre le solide et la vapeur, le film pose la question de ce qu'on va devenir, de ce qu'y restera de nous au réveil : une poupée (Miss Corée), la maîtresse attitrée d'un époux dépressif , une actrice hollywoodienne, une statue (du métal à l'état de fusion qui s'est solidifié), une enfant perdue, un fantôme. 
Hésitation face au définitif : "Ça en dirait trop sur moi-même." Léger strabisme de Jeong Eun-chae qui séduit (charme etc. etc.) mais qui symbolise aussi cette difficulté à fixer les choses.  
La source (c'est-à-dire les parents, le désir initial) s'étant perdue, Haewon ne peut plus maintenant s'en remettre qu'au charme du semblant (toujours la symphonie de Beethoven, sa version altérée par le temps.) 
Dans cet interrègne, un vieil homme lui donne à boire un alcool (remontant) qui a la couleur du lait (descendant.) Oscillation.

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