samedi 9 novembre 2013

LA FACE B DU RÊVE AMÉRICAIN

ED HARRIS PRODUCTEUR DU GROUPE DE ROCK APOLLO 13


1- Revu Apollo 13 de Ron Howard dimanche dernier sur HD1 (chaîne appartenant au groupe TF1. Slogan : "Toutes les histoires sont sur HD1".)  Malgré le handicap imposé par les conditions de sa diffusion (version française entrelardée de pages de publicités interminables), je voulais le revoir au regard de Gravity puisque Cuarón nous y incite, prêtant la voix d'Ed Harris au directeur de vol basé à Houston. Clin d'œil d'autant plus frappant que quelques minutes à peine après le début du film cette voix si rassurante s'interrompt tout à coup pour ne plus jamais se faire entendre. C'est un peu la fin brutale d'une longue histoire. En 1983 dans L'Etoffe des Héros de Philip Kaufman, Ed Harris interprétait John Glenn, pilote d'essai devenu l'un des pionniers de la conquête spatiale américaine en intégrant le programme Mercury.
Il y eut ensuite en 1989 le magnifique Abyss de Cameron (1989), film de science fiction aquatique, où Ed Harris incarnait Virgil, le bien nommé, chef d'une mission sous-marine qui l'amènera à faire l'expérience des limites, tant corporelles que rationnelles. Deux rôles qui lui valurent sans doute d'être choisi en 1995 par Ron Howard pour interpréter le très expérimenté directeur de vol de la mission Apollo 13 au centre de contrôle des opérations spatiales de Houston. Puis enfin aujourd'hui Gravity où, privé de corps, il n'est plus qu'une voix impuissante, réduite au silence dès la première menace. Bien sûr, la belle et longue carrière qu'Ed Harris continue de mener n'est aucunement réductible à ce carré de films qui d'ailleurs ne forme pas vraiment un tout bien homogène et si l'on peut en faire ressortir une certaine continuité thématique (Abyss jouant quand même ici le rôle d'intrus), il faut tout de même noter une grande disparité dans la qualité des films en question (certains sont bons, d'autres vraiment pas.).
L'intérêt de cette juxtaposition ne réside donc pas dans la comparaison de ses termes mais plutôt dans le circuit chronologique qu'y emprunte la fonction Ed Harris. Cette trajectoire a l'envergure d'un destin et l'on peut presque, à travers l'évolution des rôles qu'il y tient, en extraire un cinquième film qu'on déduirait des quatre autres.  Une jeunesse aventureuse et insolente (L'Etoffe des Héros) ; un âge adulte où l'expérience des limites atteint une sorte d'accomplissement, une ouverture vers l'autre (Abyss) ; un âge mûr consacré à la supervision paternaliste, à la transmission - au sens littéral du terme - de son savoir-faire (Apollo 13) et enfin ce moment fatidique où, le corps diminué, la voix même finit par ne plus porter (Gravity).
On voit que ce cinquième film est assez classique somme toute. S'il était une chanson, ce serait un standard américain avec quelques moments de bravoures sous forme de solos.

2- Je dis cela parce qu'en revoyant Apollo 13, j'ai soudain compris quelle partition se jouait devant moi et pourquoi elle m'avait d'abord laissé insensible. Apollo 13 est un film très médiocre, pratiquement impossible à sauver (ha ! ha ! ha !) d'un point de vue critique. Pour ce faire, il n'y a qu'un seul moyen : l'insérer dans un champ plus vaste qui le dépasse et le restaure dans sa valeur élémentaire. C'est le propos même du film : transformer l'échec d'une mission en réussite collective. Rien de surprenant donc à ce que Ron Howard fasse entièrement reposer sa mise en scène sur le traditionnel savoir-faire hollywoodien, savoir-faire technique, savoir-faire scénaristique, savoir-faire des acteurs et se cantonne au rôle de faiseur, sans chercher à ajouter à l'ensemble une once de touche personnelle. C'est même assez bravement qu'il refuse le statut d'auteur, il sait qu'Hollywood comme la Nasa est une grosse machine assez lourde qui ne peut pas décrocher la lune à chaque fois. Combien d'essais, de lancements ratés, de missions avortées, d'heures de travail effectuées par des anonymes  pour que deux péquins chanceux finissent par poser le pied sur la lune et bénéficient d'une renommée planétaire (un peu comme ces grands fous du Nouvel Hollywood qui, après quelques fulgurances,  pensaient avoir le monde à leurs pieds) ?  Or que fait-on entre deux exploits ? Qui continue de faire tourner la machine ? Des gens comme Ron Howard, professionnels consciencieux qui ont pour valeur fondamentale le travail collectif. Apollo 13 est un éloge presque publicitaire de ce savoir-faire américain qui exalte la complémentarité des compétences, la Nasa, ou Hollywood étant les prototypes mêmes de ces institutions sachant rassembler des individualités hétéroclites et brillantes venues du monde entier (des génies allemands par exemple) autour d'un projet qui les dépasse et fonde la communauté.

Du rêve américain, on pourrait dire comme d'un disque vinyle qu'il a deux faces, la face UP (héroïsme, individualisme, réussite personnelle, self made men) et la face DOWN (professionnalisme, communauté, nation, sauvetage des stars déchues qui  retombent sur terre).  Ron Howard joue sur la face DOWN, c'est un musicien de studio. Dans Apollo 13, c'est le groupe qui se serre les coudes pour tendre un drap aux leaders qui ont loupé leur mise en orbite et manqué leur rêve. Toute personnalité trop marquée, tout égotisme exacerbé représentent dès lors un danger potentiel (Kevin Bacon seul élément a priori dissident du film finit par montrer patte blanche.) Ainsi, ce manque d'originalité que l'on a pu justement diagnostiquer à propos de l'oeuvre de Ron Howard est en réalité le moteur même de son cinéma.  L'exception pour lui, si fascinante soit-elle, est toujours dangereuse, elle peut conduire à la folie (Un homme d'exception) et le but de la communauté sera justement de se mettre en position de pouvoir porter secours, tels des pompiers, aux échoués de la face UP (Backdraft). C'est là une technique bien connue des historiographes qui redéfinissent l'objectif de la mission en fonction de sa réussite ou de son échec. Si l'on arrive à marcher dessus, la Lune est la Terre promise, si l'on n'y arrive pas c'est alors l'Amérique qui redevient la Terre promise et le retour lui-même, même s'il procède d'un échec, doit devenir un exploit.




3-  Le fameux geste du pouce de Jim Lovell (Tom Hanks) éclipsant la Lune depuis la Terre dit bien comment le désir et son accomplissement sont soumis à l'alternance, aux cycles, obéissent en quelque sorte aux horaires des marées. Comment fait-on quand on arrive après, quand ce n'est plus l'heure ?
Continuons pour rire et pour conclure de filer la métaphore musicale : l'équipage d'Apollo 13 est en réalité un groupe de rock qui part à la conquête du hit-parade. Ils veulent atteindre le sommet des charts. Une équipe de professionnels est là pour enregistrer leur nouveau single. Tout est prêt. Gene Kranz (Ed Harris), ancien musicien lui-même, est à la production, bien installé aux commandes de sa table de mixage tel George Martin. Au dernier moment, on doit remplacer un des membres du groupe pour des raisons de santé. Dans l'urgence, un musicien un peu branleur et a priori pas très sûr prend sa place. Cependant l'aventure passionne peu les foules et les médias, la promotion du disque à venir ne prend pas. On est en 1970, les grands groupes de rock des sixties ont déjà accompli leurs oeuvres et ce que s'apprêtent finalement à enregistrer les membres d'Apollo 13 n'est rien d'autre que la reprise d'une célèbre chanson créée par un groupe légendaire (Apollo 11). Ils viennent après et ne seront en tout état de cause qu'un groupe mineur. La première face n'est pas encore enregistrée que déjà, catastrophe, la possibilité d'un succès s'évanouit. On fait alors le tour de son rêve perdu. On l'observe de loin. Sur la face visible de la Lune, on aperçoit les Beatles avec ses deux leaders emblématiques, Neil Armstrong et Buzz Aldrin, en train de donner un concert pour les siècles des siècles. On aura quant à nous le droit de contempler la face cachée (belle séquence du film d'Howard où le vaisseau emprunte l'orbite lunaire pareil au saphir d'une platine qui atteint la fin de la face A et glisse vers la transitoire d'extinction, cette zone sombre et lisse où seul un craquement régulier se fait entendre.) On retourne alors le disque et on enregistre une bonne face B.  Retour sur Terre, fin de l'histoire, pas de chef d'oeuvre à l'horizon mais la satisfaction d'avoir apporté sa pierre à l'édifice. Quelques nostalgiques se souviendront de nous.



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